Comme si Strasbourg n’avait déjà pas assez d’atout, elle a pris pour habitude d’accueillir chaque année les excellentes Rencontres de l’Illustration. On s’est rapprochés de la coordinatrice du festival, Madeline Dupuy Belmedjahed, pour qu’elle nous dise tout de la 10ème édition à venir.
Du 19 mars au 6 avril 2025, les Rencontres de l’Illustration investiront nombre de lieux de la belle capitale alsacienne pour exposer le beau, le curieux, l’intéressant, le percutant… Mais surtout pour rappeler qu’au delà des images, c’est notre rapport au monde qui se dessine à travers la main des artistes. Le festival célébrera la scène contemporaine de l’illustration ainsi que les artistes qui l’ont influencé et façonné à travers expositions, ateliers et rencontres qui promettent leur lot de découvertes.
Mais le mieux, c’est de laisser Madeline Dupuy Belmedjahed, coordinatrice de cet immanquable rendez-vous, en parler elle-même.
L’affiche de cette 10ème édition des Rencontres de l’illustration nous plonge cette année dans un univers mystique. Pouvez-vous nous parler de l’illustrateur que vous avez choisi pour réaliser l’affiche de cette année et de sa conception ?
Célia Housset a créé cette magnifique affiche, fidèle à ses recherches et à son vocabulaire plastique. Bien que la Ville de Strasbourg lui passe une commande dans un esprit de soutien à la création, l’artiste conserve toute liberté pour réagir aux valeurs que nous partageons avec lui, en lien avec l’édition de cette année. Célia Housset aime explorer l’onirisme et le merveilleux à travers ses œuvres. Son univers s’inspire de folklores, de costumes, d’imageries populaires et de légendes d’Europe et d’Asie. Son exposition au 5e Lieu invite les histoires traditionnelles alsaciennes à se mêler à la ville contemporaine.
Pour le dixième anniversaire des Rencontres de l’Illustration, Célia nous a offert une proposition à la fois sensible et vibrante, pleine de clins d’œil subtils. La figure féminine centrale évoque La Belle Strasbourgeoise, une œuvre iconique de Nicolas de Largillière, peinte en 1703 et conservée au Musée des Beaux-Arts de Strasbourg. Elle fait également référence à la Mesnie Hellequin et à Frau Holle, des contes et légendes issus du folklore alsacien et germanique. Ces éléments s’inscrivent parfaitement dans l’identité des RIS : une passerelle entre patrimoine du livre et des images, avec ces références littéraires et picturales anciennes, à la création contemporaine qui se les réapproprie.
Cette « Belle Strasbourgeoise », au centre de tout, offre des livres au monde, dans une sorte de corne d’abondance. Ainsi, elle ancre la ville dans son rapport historique et actuel aux mots, aux images et à leur transmission. En somme, elle incarne Strasbourg comme Capitale mondiale du Livre UNESCO 2024.
Les étoiles et le halo qui l’entourent évoquent non seulement l’anniversaire des Rencontres de l’illustration, mais comporte aussi un subtil hommage à Claude Lapointe, décédé en octobre dernier. L’oiseau-main « fessée » présent dans l’affiche fait écho à l’un de ses albums les plus célèbres, Le Marchand de fessées. En 1972, Claude Lapointe a créé le premier atelier d’illustration en école d’art à la haute école des arts du Rhin à Strasbourg, marquant plusieurs générations d’artistes (Blutch, John Howe, Catel, Lisa Mandel, Anouk Ricard). Il aura ainsi amplement contribué à façonner l’identité de Strasbourg dans le domaine de l’illustration contemporaine. Cet hommage au sein de ce visuel s’imposait comme une évidence.
Cette édition anniversaire a également pour vocation de parler du manque de reconnaissance lié au métier d’illustrateur·rice. En discuter en public, est-ce le début de la solution ?
Le simple fait d’en discuter, que ce soit en public, en privé, entre artistes, avec les créateurs et les créatrices, les institutions, les politiques, ou encore le grand public, participe à la réflexion et peut, espérons-le, amorcer un début de solution. Nous ne pouvons que souligner aujourd’hui l’importance des créateurs et créatrices dans un monde en tension, où la nuance et le recul tendent à disparaître. Plus que jamais, les artistes et leurs œuvres nous invitent à prendre cette distance nécessaire et à mieux comprendre notre monde, voire à en faire l’expérience. Soutenir la figure et le rôle des illustrateurs et illustratrices, à travers des événements tels que les Rencontres de l’Illustration, ainsi que les nombreuses commandes artistiques menées par la Ville de Strasbourg, contribue à cette reconnaissance.
À Strasbourg, de Gustave Doré au XIXe siècle jusqu’à l’association Central Vapeur, en passant par ses actions de coordination de la filière et son service Central Vapeur Pro, il a toujours existé un engagement fort sur la question. L’association organise d’ailleurs une soirée sur le projet de loi « Pour une continuité des revenus d’artistes-auteurs », en collaboration avec Info Conseil Culture, animée par le collectif La Buse, avec la participation du SNAP-CGT et de Plan d’est. Donc oui, continuons à en parler publiquement.
Quelles sont les expositions et activités à ne pas manquer cette année ?
Évidemment, toutes les supers propositions conçues par les différents partenaires des RIS (ndlr. Rencontres de l’Illustration de Strasbourg) sont à découvrir. Cette célébration des images (et des mots) se décline en divers formats d’événements, offrant ainsi une réelle ouverture et une volonté de toucher tous les publics, quel que soit leur âge ou leur niveau de connaissance. Vous pourrez ainsi profiter d’expositions, de projections, de défilés, de rencontres avec les artistes, d’un salon des éditeurs indépendants, de battles de dessins, des concerts et de nombreux ateliers pour les enfants dès 3 ans, car il n’est jamais trop tôt pour se plonger dans le processus créatif !
Cette dixième édition s’inscrit aussi dans un contexte singulier : l’anniversaire des Rencontres de l’Illustration, l’épilogue de Strasbourg Capitale mondiale du Livre UNESCO 2024 du 1er au 16 avril, ainsi que la disparition récente de Claude Lapointe. Le groupe de travail, qui fédère les Médiathèques de la Ville et de l’Eurométropole, les Musées de la Ville de Strasbourg, le 5e Lieu, la Haute école des arts du Rhin et Central Vapeur a pris en compte ces enjeux et les a intégrés à la thématique de cette édition, qui explore les liens entre peinture et illustration.
Celles et ceux qui souhaitent découvrir ce dialogue historique et ses ramifications contemporaines, pourront explorer les expositions des illustrateurs Claude Lapointe et Thomas Ehretsmann dans les Médiathèques Olympe de Gouges et André Malraux. Ou se plonger l’âme la première dans les univers fantastiques, drolatiques, mais aussi sombres et percutants des artistes Célia Housset au 5e Lieu ou Gwendoline Desnoyers à la Hear. Et bien sûr, le belge Brecht Vandenbroucke et le strasbourgeois André Derainne feront dialoguer leurs illustration en peinture autour d’univers dystopiques chez Central Vapeur.
L’exposition présentée au Musée Tomi Ungerer rassemblera quant à elle les artistes libanais Monira El Solh et Mazen Kerbaj, l’allemand Nino Bulling et l’artiste basée à Marseille Neïla Czermack Ichti. Ces quatre artistes proposeront leur manière de narrer le présent comme l’intime, dans un monde en mutation.
L’espace public sera aussi investi, avec une exposition des œuvres de Anouck Constant, qui invitera, dans son parcours d’affiche, à découvrir en grand format les pages en aquarelle de son imagier bilingue franco-arabe Mousson de Jasmin, paru en novembre 2024 aux éditions Le Port a Jauni.
Cette programmation, à découvrir sur notre site, aborde des dimensions aussi variées que scientifiques, patrimoniales et politiques de l’illustration, tout en proposant des accrochages poétiques, dynamiques et colorés, accessibles à toutes et tous.
Chacun·e pourra ainsi se retrouver dans les multiples facettes de cette dixième édition !
Ce grand rassemblement artistique s’inscrit à nouveau dans l’année Strasbourg Capitale mondiale du livre UNESCO 2024 qui s’achèvera le 22 avril prochain. Qu’est-ce que cette distinction a apporté au festival ?
Cette labellisation de Strasbourg au titre de Capitale mondiale du livre UNESCO 2024 se vit une fois dans une vie, une fois dans une ville ! Ce focus incroyable a permis de river pas mal d’yeux, autant professionnels que grands publics, sur Strasbourg et son histoire autour du livre, de Gutenberg à son incroyable vivacité actuelle sur le sujet. Évidemment les Rencontres de l’illustration ont pu profiter de cet élan pour rayonner à l’échelle nationale et internationale, avec de nombreux retours qui ont permis de se rendre compte de la place que Strasbourg occupe en la matière, grâce à ses institutions, ses associations, mais surtout grâce aux artistes qui vivent sur ce territoire et le font vivre.
Mais au-delà de cet aspect évènementiel, toute l’ambition de cette labélisation est de visée transformative. La Ville s’en est saisi pleinement afin de développer ses politiques culturelles en matière d’illustration et de création. C’est grâce au contexte favorable de cette labélisation que sont nées les bourses maintenant pérennes d’aide à la recherche et à la création littéraire, qui s’adressent directement aux artistes afin de mener à bien leurs projets.
Cette année aura également permis de réaliser de nombreuses commandes artistiques à des illustrateurs·rices, que ce soit pour des expositions, comme avec André Derainne, Marie Dorléans, ou Mathias Martinez, des planches de BD ou des couvertures de magazine, avec Camille Deschiens, Lucie Deroin, Timothée Ostermann, ou des habillages de tramways, encore en circulation pour les prochaines années, avec Serge Bloch, Joseph Levacher, Blutch, Emilie Clarke ou Anouk Ricard.
La Ville a même réalisé une commande d’un caractère typographique auprès du trio Benjamin Blaess, Mathieu Réguer et Julien Priez, avec le soutien du Ministère de la Culture. Cette typo, originale et inédite sera tout prochainement en accès libre et téléchargeable gratuitement, à retrouver par ici : azimut.strasbourg.eu.
En tout, c’est près d’une centaine d’artistes-auteurs et autrices du territoire qui ont été accompagné·es, soutenu·es, sollicité·es par la Ville de Strasbourg grâce à cet évènement.
Bien sûr, tout cela rayonne sur les Rencontres de l’illustration mais nous sommes surtout content·es de l’impact structurel de cette année de labélisation sur le soutien et la valorisation de la filière !
Quels ont été les moments les plus marquants de ces dix dernières années de festival pour vous ?
Le moment le plus marquant réside dans le fait que 10 ans plus tard, cette manifestation perdure, se transforme et se développe encore. Le fait de déjà commencer à préparer l’édition 2026 témoigne pleinement de l’ancrage de cet événement, qui a su trouver sa place et continue de laisser une empreinte durable sur la ville, et atteste de la vitalité de Strasbourg comme terre de l’illustration.