Les Gens du Mag : Téo Transinne

À l’occasion de la sortie de Kiblind « Discothèque », l’autodidacte lyonnais Téo Transinne a répondu présent à notre demande en réalisant une œuvre inédite pour coller à notre thème du monde de la nuit. Comme à son habitude, léger contre-pied. C’est à côté de la fête que nous sommes, dans la petite rue à la sortie du club, avec une cigarette fumante à la main et le ciel comme piste de danse. On a donc pris le temps de discuter un peu de ces petits riens qui, une fois passés entre ses mains, deviennent de grands touts.

La plupart des individus utilisent des crayons de couleurs pour remplir des mandalas à colorier et sont fiers lorsqu’ils ne dépassent pas (je parle peut-être de moi). Pour Téo Transinne c’est tout autre chose. Avec lui, le dessin devient un art incroyablement précis et délicieusement poétique. Chacune de ses réalisations est une invitation au temps calme, une ôde à l’arrêt sur image. Si c’est bien par les yeux que l’on plonge dans ses illustrations, très vite c’est l’âme qui s’y prélasse.

Ne vous fiez pas à l’apparente simplicité de ses traits. Le protocole de création de l’artiste est sérieusement réfléchi, méthodique et appliqué : une représentation fine de petits bouts de quotidien rappelant l’art de la photographie, alliée à un cadrage serré au point de vue subjectif, sur ces choses qu’on ne voit plus à force de trop les voir. C’est sans doute pour cela que le pouvoir de synesthésie de ses illustrations est aussi frappant. On a le goût du melon sucré – que l’on aime ou pas – sur le bout de la langue, on sent l’odeur du petrichor d’après pluie dans ses petites flaques aux reflets lumineux, on devine le bruit du vent dans ses ciels bleus. 

On prend le temps de redécouvrir la ville comme la campagne, l’été comme l’hiver, le jour comme la nuit. Un doux sentiment de nostalgie s’empare de nous si l’on ose se perdre dans ces décors empreints de réminiscences de vacances passées. Ses souvenirs deviennent les nôtres, tant ils expriment des atmosphères à la foi personnelles et universelles. Plus loin il décrira son travail comme “réel mais pas réaliste”. C’est tout à fait ça.

Le Bec de Jazz - Illustration Téo Transinne - création originale pour Kiblind Magazine thème Discothèque
Le Bec de Jazz, Lyon – Création originale pour Kiblind « Discothèque »

Hello Téo. L’illustration que tu nous as proposée pour Kiblind Discothèque respire plutôt le calme de fin de soirée. Le meilleur moment de la soirée en discothèque, c’est la fin ? Explique-nous ton intention ici et l’histoire que tu as voulu raconter.

Avec cette illustration, je cherchais à évoquer la sensation de déséquilibre qu’on peut ressentir à la sortie d’une boîte. Le fait de passer d’un endroit chaud, bruyant, stroboscopique, à la rue fraîche et silencieuse. Il y a cette bouffée de cigarette et le vertige de la boisson. C’est une transition entre deux états. Je trouve que c’est une sensation assez unique au milieu de la nuit et de la fête. Cette scène-là se passe à Lyon, dans les Pentes de la Croix-Rousse, à la sortie du Bec de Jazz. C’est une boîte de jazz que j’ai fréquentée plus jeune et de temps en temps encore aujourd’hui, comme beaucoup d’autres Lyonnais et Lyonnaises.

Les Petes de La Croix-Rousse - illustration Téo Transinne
Les Pentes de La Croix-Rousse

Avec quel(s) artiste(s) passerais-tu ta prochaine folle soirée en discothèque ?

Ahah ! Alors j’adorerais me prendre une cuite avec Salomé Lahoche. Je crois qu’on ne danserait pas, qu’on serait au fumoir en train de se plaindre en buvant des pintes (je me trompe peut-être). En tout cas, je trouve ça drôle parfois ce genre d’ambiances. Sinon, pour faire la fête, je partirais en soirée avec Laura Olivieri et Alizée Cayla, parce qu’elles ont l’énergie de la danse et qu’elles me motiveraient, parce que moi… je peux être compliqué à bouger. Mais en vérité, c’est aussi et surtout parce que ce sont des amies et qu’il en faut pour passer une bonne soirée. Enfin, je crois que j’aimerais bien être en compagnie de Lisa Mouchet et de Jules Magistry parce qu’ils ont l’air de bons fêtard.e.s et parce que Lisa m’a fait découvrir la chanson Schumacher, donc c’est forcément une personne cool avec qui faire la fête. Est-ce que j’ai dit que ces gens faisaient des dessins fascinants ?

Incendie à Lyon - illustration Téo Transinne
Incendie à Lyon

Le cadrage de tes illustrations rappelle fortement la photographie, ambiance caméra embarquée. Est-ce volontaire ? Comment est-ce que tu construis tes œuvres ?

Le cadrage, j’essaie de le rendre important dans mes dessins, oui. C’est une des ressources que j’utilise pour poser une ambiance, jouer avec le hors-champ. Je cherche à créer des images en équilibre, qui interpellent, qui fabriquent un peu d’étrangeté. Dernièrement, je développe aussi un attrait pour les images « à la première personne », je pense que je tiens ça du jeu vidéo.

La très grande majorité de mes images sont des reconstructions mentales d’un souvenir. La photo peut parfois aider, quand j’ai besoin d’éléments précis ou pour me rappeler quelque chose. Mais je me fiche un peu que les perspectives soient bonnes, que le dessin soit juste. Je cherche seulement à ce que ça fonctionne et pour ça, je marche à l’instinct. Je crayonne de façon très grossière au début, puis je recadre, j’enlève, je rajoute, j’affine mon brouillon de feuille en feuille jusqu’à avoir un dessin au trait dont je suis satisfait.

illustration Téo Transinne - Les citronniers
Les citronniers

Ensuite je fais ma palette. J’ai souvent une bonne idée de ce que je veux en tête, alors je sélectionne les couleurs dont j’ai besoin parmi mes crayons. Je fais quelques tests si ce sont des couleurs que j’utilise rarement. Parfois je vais aussi faire un tour au magasin pour voir si je n’ai pas raté une couleur, s’il n’y a pas un crayon que je n’ai pas et qui serait parfait pour tel mur ou tel arbre.

Puis enfin c’est la réalisation du dessin final. Je mets le crayonné sur une table lumineuse et je suis les lignes avec mes crayons, minutieusement. Au bout de ce processus – c’est presque un protocole – résultent des dessins qu’on peut dire réels mais pas réalistes, au sens où ils sont ancrés dans une réalité mais largement remodelée.

Depuis l’idée jusqu’à sa finalisation, il y a quelque chose de laborieux dans la réalisation de mes dessins. Je convoque tout un faisceau de procédés pour que « tout se passe bien », car la réalisation de certaines images, surtout les grandes, peut avoir quelque chose de stressant. J’ai fait une petite vidéo pour montrer un peu les coulisses.

Croix Paquet - Illustration Téo Transinne
Croix Paquet

Quelles histoires veux-tu raconter avec tes images ?

Mes images parlent presque toutes du quotidien. J’essaie de créer des ambiances contemplatives en m’inspirant de pas grand-chose. J’aime bien l’idée que les gens prêtent attention à ce qui les entoure, à leur environnement. Je crois que ce que j’espère à travers mes dessins, c’est que tout le monde trouve un chez-soi et s’y sente bien. J’essaie aussi de rendre un peu de beauté là où il n’y en a pas forcément.

Je dessine pas mal de bitume par exemple. Je m’en sers pour dire « hé regardez, vous connaissez cet endroit, il est chargé de sens pour vous, et il y a peut-être ce bel arbre sur cette place qui vous est cher, mais le bitume fait aussi partie du tableau ». Quand il s’agit de commandes, j’applique mon protocole. Je recherche le déséquilibre, l’émotion, l’étrange. Je donne tout pour que l’image vue sonne différemment. L’histoire que je raconte est toujours liée au fait de regarder autrement, souvent en proposant un cadrage particulier, décentré. Quand je dessine pour moi, je fais ressortir mon côté localiste. Je dessine mon environnement qui s’étire entre Lyon, où j’habite, et la Drôme, d’où je viens.

Les quais du Rhône - illustration Téo Transinne
Les quais du Rhône

Mes illustrations contiennent une forte dimension autobiographique. Chaque dessin symbolise un lieu ou un moment qui m’est précieux. Les quais du Rhône parce que je les parcours à vélo tous les jours ; les cerises que j’ai cueillies avec Marie et Liana ; la longue ligne droite entre Crest et Aouste, parce que je l’ai empruntée toute ma vie, de jour ou de nuit, dans un sens, puis dans l’autre. Cette ligne droite me relie à mes amitiés drômoises, à ma famille, à l’été, au massif des Trois Becs. Pour te donner une idée, une bonne dizaine de mes dessins prennent exclusivement place sur la terrasse d’une maison de famille dans la Drôme. J’ai l’impression que ces lieux très incarnés sont encore une source d’inspiration intarissable. Comme il ne s’agit pas seulement de raconter ma vie, je m’arrange pour tenter de transmettre ces souvenirs de façon un peu universelle.

L’image me sert à convoquer une forme de mémoire collective. Quand je dessine, je pense souvent aux gens qui ont vu la même chose que moi, mes colocataires ou mes ami.e.s, par exemple. En dessinant, j’essaie de communiquer mes émotions en les faisant ricocher sur les autres, et en voyant mes dessins, on sait un peu mieux qui je suis.

Crest-Aouste - illustration Téo Transinne
Crest-Aouste

Tu t’essaies à la risographie depuis quelque temps maintenant, pourquoi avoir choisi cette technique de reproduction plutôt qu’une autre ?

Je commence à avoir une sacrée collection de prints, oui ! Je crois qu’un peu comme d’autres choses que j’ai pu faire dans ma vie, une fois que j’ai commencé, j’essaie d’aller jusqu’au bout. Peu importe si ce n’est pas sensé ou optimal, je file tout droit. La risographie, j’ai fait mes premières reproductions de cette manière et je n’ai jamais envisagé de les faire autrement. Je crois que c’est aussi simple que ça. Ça me plaît alors je continue. J’ai la chance d’être très bien entouré pour pouvoir apprendre rapidement. Je me perfectionne sur la préparation des fichiers, et maintenant sur l’impression aussi. Je sors d’un petit stage chez mon imprimeur, à l’atelier Risome. Ça m’a permis d’utiliser un peu la machine. Peut-être qu’un jour je produirai mes tirages de A à Z, et sans doute qu’à ce moment-là je me dirai « bon maintenant, c’est quoi la sérigraphie ? ».

Allée des cerisiers - illustration Téo Transinne
Allée des cerisiers

Est-ce que cela a modifié ton approche du dessin ?

Je ne crois pas. Quand je dessine, je ne sais jamais à l’avance si mon dessin va être reproduit ou non. Je ne sais même pas si je vais l’aimer ! En réalité, la risographie, je considère même ça comme une activité à part entière. C’est presque un autre métier, une autre facette en tout cas. C’est celle de la reproduction des images, de leur vente, de leur distribution. Pour moi, mes reproductions sont associées aux festivals d’illustration où je rencontre le public et où je retrouve mes collègues et maintenant mes ami.e.s. Ces tirages sont des dessins qui vont être offerts, ou qui seront affichés au mur, alors quand je fais des impressions en riso, j’essaie tant que possible de faire de belles images.

Quand je dessine, je ne cherche pas forcément à faire de belles images, je recherche plutôt une émotion. Il y a quand même quelque chose que ça a changé dans mon approche des formats. Avant je dessinais dans des formats très variés et improvisés. Des trucs improbables, des 18x12cm, des 20x10cm Je continue de le faire encore un peu, mais je remarque que j’ai aussi standardisé la taille de mes dessins, en A5, A4 ou A3.

Napoli - illustration Téo Transinne
Napoli

Peux-tu nous citer 3 projets qui ont été marquants pour toi et nous dire pourquoi ?

Je crois que mon dessin de Colmar pour vous, dans le cadre de la troisième série de Détours de France, a constitué un petit déclic. Ça ne faisait pas si longtemps que ça que j’avais commencé l’illustration, à peine deux ans si je me souviens bien. J’avais déjà eu quelques commandes de particuliers, mais ce dessin c’était un peu mon premier contrat professionnel. Je crois que c’est la première fois que j’ai utilisé mon statut. En tout cas, je me souviens que c’est la première fois que je me suis dit qu’il y avait peut-être quelque chose à faire de mes dessins. En quelque sorte, tout ça est grâce à vous, ahah !

Colmar - illustration Téo Transinne pour Kiblind Atelier, série Détours de France N°3
Colmar

Ensuite, j’ai envie de parler de ma petite édition « J’aime pas le melon ». Parce que même s’il y a une narration à travers la somme de mes illustrations, c’était la première fois que je réalisais une petite histoire avec des dessins qui se suivent et un scénario (une bande dessinée donc). C’était en plus un objet qui prenait vie à partir de rien. J’ai fait les dessins, la mise en page, l’impression, la distribution. J’avais vraiment la sensation d’avoir créé quelque chose de vivant. Et puis c’était drôle de proposer cette édition aux gens. Il y avait un truc de niche sur le fait de ne pas aimer le melon, mais qui fonctionnait assez bien auprès du public. C’était cool d’établir cette proximité avec les gens, seulement à partir d’un titre. Il ne m’en reste plus aujourd’hui, je me demande si je ferai un nouveau tirage un jour.

J'aime pas le melon - illustration Téo Transinne
J’aime pas le melon

Pour finir, je voulais parler de l’affiche que j’ai réalisée pour Bourrage Papier Cadeau, l’édition de Noël du festival Bourrage Papier. C’est un projet qui m’est cher surtout parce qu’il me relie à notre association Bourrage Papier et à la création du festival éponyme. Je suis hyper heureux de faire partie de ce collectif, de voir l’événement vivre et grandir. On ne sait pas ce qu’il en sera dans 10 ans, mais je sais qu’en ayant fait cette affiche, je pourrai toujours me dire que j’ai participé à cette aventure et à ses débuts.

Affiche Bourrage Papier Cadeau - Téo Transinne
Affiche Bourrage Papier Cadeau

TÉO TRANSINNE // KIBLIND « DISCOTHÈQUE »

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