Une décharge électrique. En démultipliant les motifs du piquant et de l’explosif dans de grands tourbillons infatigables, Kaoura Marius nous pose au bord d’un psychédélisme nouveau, autant percussif que séduisant. Par chance, elle a bien voulu nous dessiner un des ses excitants pour notre numéro « Surprise ». Voyons voir à quoi elle turbine.
Kaoura Marius est une artiste de l’évolution. Si ses motifs goût piquant se retrouvent régulièrement dans ses dessins, elle ne les laisse pourtant jamais en paix. De projets en projets, de formes en formes, de lignes en lignes, ils s’émancipent de l’élan originel pour prendre se transformer, à chaque fois de façon différentes, à chaque fois de façon étonnante. Qu’il s’agisse de tatouages, de posters, d’éditions ou d’illustrations libres, le trait de la Nantaise part vivre sa vie comme il l’entend.
Et c’est peu dire que ce trait est d’une nature excitée. Les dessins de Kaoura Marius crépitent, feu-follettent et aiguillonnent à tout va. Voguant de la flamme au végétal, de l’étoile à la foudre, les yeux des spectateur·rices se laissent hypnotiser par ces éléments hallucinogènes, ennemis du sommeil et serviteurs de l’émerveillement. Le travail, sur la peau comme sur la feuille, de la jeune illustratrice est l’intensité représentée.
Hello Kaoura ! Ton illustration pour le thème surprise nous apprend que la femelle Megapodius enfouit ses œufs dans les volcans pour ne pas avoir à les couver. Et toi c’est quoi ton astuce gain de temps imparable ?
Franchement, je n’en ai aucune. J’adore faire les choses en beaucoup d’étapes, avoir le temps d’appréhender chacune, ajouter infiniment de détails et avoir une méthode de travail autodidacte qui ignore probablement des tas d’astuces gain de temps. J’adore dessiner pendant des heures, tatouer pendant des heures (bon mais les gens eux aiment moins car ça fait mal…). Le dessin est pour moi une manière d’organiser le chaos, que ce soit celui de la vie, mais aussi tout simplement mon propre chaos, celui que je m’impose en décidant par exemple de dessiner chaque détail d’un chardon mutant avec beaucoup trop de piquants à ses feuilles. Plus le motif est compliqué, long et chiant, plus je suis contente, car j’ai l’impression de dénouer un gros nœud détail par détail.
Le rendu de tes illustrations semble très instinctif, est-ce que tu es du genre à improviser devant la page blanche ou à réfléchir avant d’agir ?
Je sais à peu près ce que je veux dessiner quand je m’installe derrière une feuille mais le rendu n’est jamais exactement ce à quoi je m’attendais. En général, je mets tout autour de moi d’autres dessins finis, et j’essaye de reprendre des formes, des mouvements, des textures que j’ai déjà faits, et de les développer. Quand je fais des flashs souvent, je travaille comme ça : une forme en appelle une autre, qui va la compléter, ou se mettre en opposition. J’aime agencer les formes entre elles , comme un jeu de labyrinthe où il faut trouver l’issue avec un stylo, ou un tissage : passer au-dessus au-dessous, devant, derrière. Je dirais que c’est un mélange d’impro et de réflexion, il y a une idée de base puis je laisse quand même ma main et mon trait explorer au maximum les variations possibles, en cherchant une harmonie – ou un chaos – qui ne peut pas réellement se préméditer.
Tu illustres et tu tatoues, est-ce qu’il y a une différence d’intention selon le support de ton art ?
Non, pas vraiment. Ce que je tatoue, je peux aisément l’imaginer en affiche, en édition, ou en motifs sérigraphiés sur des vêtements, et vice-versa. J’ai des thématiques de prédilection, il y a du feu, des explosions, des volcans, du magma, des comètes, des étoiles, une végétation entremêlée, des fleurs piquantes. Bref, mon envie de dessiner vient d’abord d’une envie de représenter des motifs que j’aime, à l’infini mais toujours avec des variantes et des évolutions, et le tattoo est en ce moment l’un des médiums que j’utilise le plus mais n’est pas une finalité en soi. En gros, ce que je veux dire c’est que quoi qu’il arrive, en premier il y a le dessin, puis ensuite pour le développer et le diffuser, il y a tous les autres supports, en ce moment beaucoup la peau des gens.
J’espère tatouer encore longtemps car j’adore vraiment ça, mais je veux également faire par exemple des grosses peintures, du textile ou encore dessiner pour des éditions. Je viens d’éditer un fanzine avec mon amie Honor Hamon, qui est poètesse, un projet qui s’appelle « Les Fleurs de Feu », édité par une jeune maison d’édition toulousaine : Miam Editions. Ça parle de chardons, de feu, de volcans et de magma, de destruction et de renaissance. On en est très fières, et on a peut-être déjà un autre projet en route, toujours aussi ardent, cette fois sur des miracles et de la pyrotechnie. Tout ça pour dire que j’aimerai beaucoup collaborer avec des écrivain·es qui voudraient que j’illustre leur texte, que ce soit en poésie ou en prose, ou encore travailler pour la presse, des festivals (comme j’ai fait en début d’année dernière pour l’identité graphique du Festival Super à Angers), ou encore pour des musicien·nes.
Quels sont tes outils de prédilection dans l’illustration ?
Je fais toujours un crayonné, avant de passer à l’encrage. Je pense d’abord à la version finale du dessin, à sa technique d’impression par exemple et je travaille généralement à échelle, que ce soit pour un tattoo de 5x5cm, ou une affiche A2. Une fois les lignes et l’harmonie trouvées, je refais tout le dessin sur un logiciel, dernièrement sur procreate avec une tablette et un stylet mais avant : à la souris sur Photoshop. Ça me prenait des heures et des heures, mais j’adore cette étape technique, répétitive, ou le cerveau peut se détendre car il n’y a plus le challenge de trouver l’harmonie parfaite du dessin. Puis je colorise, et là aussi j’aime me mettre des contraintes. Comme il y a trop de choix possible dans la colorisation numérique, je me limite souvent à 3 ou 4 aplats de couleur vive. Cela vient surtout du fait que j’ai eu un atelier de sérigraphie pendant 3 ans et que cela a beaucoup influé sur ma manière de construire des images, car dans cette technique il vaut mieux rentabiliser les passages de couleurs si on ne veut pas passer 4 mois sur un seul projet d’affiche !
Qu’est-ce qui ne cessera jamais de te surprendre ?
Tellement de choses. Je suis vite émerveillée, que ce soit par le vivant, les humains, les plantes, les animaux, les histoires, les cailloux. L’infinie variation des choses. Le fait qu’il y ait autant d’étoiles dans le ciel et qu’elles aient toutes leur personnalité propre. Le fait que les fourmis vivent en société. Le fait que je pourrais ne dessiner que des chenilles pendant 10 ans et que sûrement je ne me lasserai pas car on peut faire 1000 choses d’un seul motif répétitif. La mer, les orages, la pluie, les escargots. Les coupes et les cartes géologiques. Les fleurs. Les veaux.
Peux-tu nous citer 3 projets qui ont été marquants pour toi et nous dire pourquoi ?
Concrètement c’est toujours hyper gratifiant quand les gens viennent pour un tattoo, te donnent une partie de leur corps à orner, avec quelque chose qu’ils auront sur eux toute leur vie. C’est toujours un moment privilégié, et je remercierai jamais assez mes adorables client·es !
Sinon, participer au numéro « Surprise » de Kiblind, car c’est quelque chose que j’ai croisé au moment ou je commençais à envisager sérieusement l’illustration, et qui a participé à façonner la manière que j’ai de réfléchir au rendu de mes images (joyeux, coloré, libre, exigeant mais accessible), donc c’est très gratifiant d’avoir été invitée à participer à ce numéro.
A part ça, je peux citer une exposition solo dans un lieu que j’affectionne tout particulièrement : il s’agit de Kuuutch/Super Banco à Brest, ville d’où je viens, ou mon travail est visible depuis Janvier 2025. Il y a des affiches en risographie éditées pour la plupart par leur soins, des reproductibles donc, mais aussi des pièces uniques inédites, comme des peintures, une grande couverture tissée ou bien encore des pièces d’un début d’expérimentation avec de l’aluminium fondu. J’ai pu tester cette technique de fonte grâce à mes supers amis qui ont été d’accord de m’accompagner par une très froide après-midi de Janvier dans un centre de tri des déchets, pour faire fondre des lingots d’aluminium à 600 degrés dans un four spécial, pour réaliser des sortes de fossiles du futur de fleurs mystérieuses. Pour l’instant, je n’ai aucune photo à vous montrer, cela reste un secret pour celleux qui peuvent aller voir l’exposition à Brest. Ça s’appelle « C’est difficile d’aimer autre chose que les fleurs », et elle est en place jusqu’à fin Mars 2025. Pour les autres, vous pourrez tout de même voir tout ça bientôt car je travaille sur un site internet regroupant tous mes travaux, archives et projets à venir.