Halte-là les gaillard·es ! Ici Dieu qui vous parle. Par l’intermédiaire d’un dessin, certes, mais c’est mieux que rien. Et il nous dit, vous dit, que vous feriez mieux de baisser d’un ton parce que vous n’êtes rien que des fourmis qui grenouillez sur une planète ridicule. Voilà, en substance, le message du dessin de Giuliano Buttafuoco pour notre dernier numéro « Minuscule ». On le remercie pour la leçon d’humilité mais aussi pour l’efficacité redoutable de ses dessins en perpétuel mouvement.
Avant de nous taper sur les doigts, l’Italien nous a tapé dans l’œil. C’est rien de dire que l’animateur et illustrateur sait y faire pour proposer des visuels qui embarquent celui ou celle qui les regarde. Grâce à un trait simple mais voluptueux, des angles de vue majestueux et un rien de magie qui assaisonne chacun de ses travaux, Giuliano Buttafuoco fait danser la gigue à ses personnages et à nos yeux dans le même temps. Croyant voir bouger ses dessins, nous les accompagnons dans leur transe, ensorcelé·es par leurs pouvoirs secrets.
Souvent pétries d’ésotérisme et symboles mystiques, les images du transalpin usent de couleurs en dégradés puissantes et de contrastes découpés à la hache pour faire de la vocifération poétique un paradoxe charmant. Le noir habile et frondeur lui permet de dynamiter ses propositions et rendre percutant un trait qui pourtant ne s’empêche pas de devenir subtile, volage et libre. Car les dessins de Giuliano Buttafuoco ne sont pas que pour le choc : ils disent, à leur manière, que la beauté peut se nicher dans le chaos.
Pour notre dernier numéro, « Minuscule », vous avez dessiné un Dieu tout puissant tenant dans sa main une toute petite Terre. Quels sont, pour vous, les dieux de l’illustration et pourquoi ?
Je dirais Alan Aldridge. Un des plus grands à avoir contribué au développement de l’esthétique psychédélique des années 60 et 70, connu pour les artworks qu’il a réalisé pour Les Beatles, Andy Warhol, The Who, Elton John, Tears for Fears et beaucoup d’autres (il a aussi été directeur artistique et créateur du logo pour les légendaires Hard Rock Café). Je suis tombé amoureux de son travail quand j’étais enfant et que j’ai trouvé son The Beatles illustrated lyrics dans la bibliothèque de mon père. J’ai été époustouflé par ses illustrations psychédéliques, ses dégradés délicats et les quelques éléments osés qu’il glissait subtilement. J’ai passé des jours à admirer ces illustrations comme si elles étaient nouvelles à chaque fois.
J’aime beaucoup Jack Sachs également. Ma lumière dans le tunnel de l’illustration contemporaine. Ses personnages insensés sont les plus imaginatifs et libres que j’ai jamais vus. On a l’impression qu’il peut utiliser n’importe quel médium (2D, 3D, Sculpture, etc.) et faire quand même un travail cohérent, magnifique et taré. C’est une grande inspiration pour moi quand je suis bloqué au niveau créatif.
Enfin, il y a aussi Lorenzo Mattotti, légende italienne de l’illustration qui a commencé dans la contre-culture dans les années 70 et a développé dans les années suivantes son style vibrant et coloré qui lui est unique, en travaillant pour des clients comme le New Yorker, Le Monde, la Mostra de Venise et même dans le cinéma pour des gens comme Michelangelo Antonioni, Wong Kar Wai et Steven Soderbergh, sans oublier le film d’animation La Fameuse Invasion de la Sicile par les ours. Il m’a toujours fasciné par son usage incroyable des couleurs, ses atmosphères surréalistes et la façon dont il dépeint les mouvements suspendus, comme si il parvenait à fixer les rêves en dessin.
Vous faites à la fois de l’illustration et de l’animation. Est-ce que ces deux disciplines se nourrissent entre elles et si oui, de quelle manière ?
Pour parler technique, quand tu animes image par image, tu te dois de faire attention aux designs de tes éléments, notamment ceux des personnages. Il faut planifier et réfléchir à tout dès le début du projet. Si tu ne veux pas devenir fou pendant le temps d’animation, ça va nécessairement affecter la façon de dessiner. Une fois que tu es un peu plus expérimenté, tu peux résoudre ces problèmes plus facilement et devenir plus libre dans ton dessin originel.
Même vos illustrations statiques semblent bouger. Comment parvenez-vous à nous faire ressentir ce mouvement ? Est-ce que l’usage de lignes courbes, d’emanatas et de perspectives irréalistes est là pour provoquer cette impression ?
J’ai remarqué que la plupart du temps, je dessine mes personnages au milieu d’un mouvement. Ce n’est pas quelque chose de très conscient, ça me vient naturellement. En dehors de ça, oui, j’utilise souvent les lignes de mouvements et les emanatas pour rendre les choses encore plus dynamiques.
L’usage du noir est aussi assez impressionnant dans votre travail. Pourquoi utiliser autant ce contraste entre le noir et les autres couleurs dans vos travaux ? Est-ce que c’est une façon d’être percutant ou est-ce qu’il y a là-aussi, l’envie de renforcer l’impression de mouvement ?
Quand j’étais plus jeune, je dessinais uniquement en noir et blanc, pas de couleur du tout. Donc l’usage d’un ombrage noir puissant était crucial pour créer de la profondeur. Le contraste a toujours été aux racines de mon travail, ça rend l’image plus punchy et direct, et ça lui donne plus de dynamisme, c’est sûr. Mes points de départ sont souvent un arrière plan sombre (quand je peux) et un ombrage noir net.
Vous utilisez beaucoup d’éléments ésotériques et/ou mythologiques dans vos dessins. Pourquoi cela vous inspire-t-il autant ?
J’ai toujours été fasciné par les mondes au-delà du nôtre, par les mythes et légendes d’il y a des siècles et qui sont venus jusqu’à nous par différents moyens (oraux, écrits ou imagés). Je sais que beaucoup d’entre eux trouvent leurs origines dans notre réalité et qu’ils ne sont que l’interprétation de phénomènes réels ou des contes métaphoriques. Mais des choses comme la sorcellerie, le druidisme ou l’alchimie ont réellement été pratiquées. Les mystères qui les entourent m’intéressent énormément, donc ça vient naturellement dans mes dessins.
Pourriez-vous nous parler de trois projets professionnels dont vous êtes particulièrement fier ?
MTV amour opening
MTV Germany voulait rafraîchir l’identité graphique d’une vieille émission des années 90, « Amour ». C’était un programme de clips de chansons d’amour (principalement du RnB et de la black music en général), animé par des filles magnifiques dans une atmosphère très sexy. Ils m’ont demandé de faire un générique de dix secondes. Faire une nouvelle identité pour ce genre de sujet est assez délicat, dans le monde du politically correct. Il y a eu beaucoup de retours et il a fallu réécrire le script de nombreuses fois pour essayer d’éviter au mieux les stéréotypes raciaux et les contenus trop sexuellement explicites.
Ils ont aussi voulu quelque chose de moins 2D, plutôt stylisé de façon 3D donc j’ai du changé mon style habituel. C’est peut-être le travail le plus difficile que j’ai fait (je me souviens d’avoir passé des jours à devenir fou sur le premier jet à me demander comment je pouvais recréer un effet soyeux qui pourrait marcher en animation image par image) mais aussi l’un des plus gratifiants quand il a été terminé. Sur ce projet, j’ai aussi beaucoup aimé travailler avec Sevial (Andrea Di Liddo), un motion designer de Milan qui a fait un travail magnifique de post-production sur mon animation et une super animation sur le logo en fin de vidéo.
Superinternet Project
Un projet fou et bizarre des gens fous de Gigadesign studio. Ils ont acheté un espace dans le metaverse et ont designé plein de pièces blanches et vides pour qu’elles soient peintes par de nombreux artistes. Chaque pièce était connectée aux autres par une porte. Les artistes avaient une liberté totale, et j’ai évidemment décidé de faire une pièce de rituel qui pourrait invoquer un démon grâce à un peu de sang en forme de cadeau sacrificiel.
La partie folle du projet était qu’on était limités dans nos dessins parce qu’on avait le droit de peindre seulement sur des toiles pixelisées et uniquement à la souris (le logiciel ne supportait pas la tablette) comme si on était de vrais graffeurs, mais dans le metaverse, sans raccourci de type Ctrl+Z ou avec plusieurs outils à disposition : juste un artiste qui peint sur les murs avec de la couleur.
Le projet a fini dans une galerie à Milan où on pouvait naviguer entre les pièces avec de la VR. C’est la première fois que je travaillais dans le metaverse et j’ai trouvé ça très intéressant.
Athletic Elite x New Balance
Athletic Elite est une association d’athlétisme non lucrative basée à Milan qui y organise un meeting tous les ans. En 2024, New Balance a décidé de sponsoriser l’évènement. Le directeur artistique de New Balance connaissait mon travail et a voulu que je fasse le teaser animé de l’évènement. J’avais carte blanche.
Les mouvements des différentes disciplines de l’athlétisme étaient très durs à animer mais le résultat final est vraiment bien. C’est le plus long projet d’animation sur lequel j’ai travaillé jusqu’à présent. J’ai aussi eu la chance de travailler sur la partie son du projet avec l’un de mes mes meilleurs amis, Kenzo Discordia, un producteur de musique de Milan, qui a fait un super travail. Un projet plein d’amour !