Nommée « iloveyou », l’illustration d’Étienne Puaux réalisée pour Kiblind « Surprise » est arrivée à nous via un email. Heureusement, derrière ce redoutable nom de fichier se cachait une sublime illustration, et non un méchant virus. À notre tour de lui faire une déclaration (presque pas) déguisée.
Foisonnants, complexes, élaborés… Les adjectifs ne manquent pas lorsqu’il s’agit de qualifier les créations de l’illustrateur·rice. Plus qu’un relâchement de l’esprit, le dessin est pour Étienne Puaux une façon d’expérimenter et de toujours plus gagner en profondeur et en justesse. Ainsi le trait, qu’il soit réalisé au crayon de couleur, à l’aquarelle ou sur Photoshop, est toujours méthodique, et la création percutante.
Car là est la force d’Étienne Puaux : pouvoir alterner les outils et techniques comme bon lui semble tout en pouvant se targuer d’arriver à garder un style reconnaissable en un battement de cil. La preuve en images avec les dessins ci-dessous et l’époustouflante illustration apparue dans les pages de Kiblind « Surprise » représentant le virus informatique « iloveyou » jadis dissimulé dans des mails romantiques.
Hello Étienne ! Pour ton illustration dans le magazine, tu illustres un virus internet caché sous une déclaration d’amour, les mauvaises surprises font de meilleures histoires ?
Si je repense à mes histoires préférées, c’est vrai qu’elles sont jonchées de terribles surprises et de mauvaises nouvelles, il y a surement quelque chose de cathartique derrière tout ça ! Les virus informatiques sont souvent cachés derrière des programmes communs, rajouter un élément de déception romantique par-dessus le cheval de Troie rajoute une épice bizarrement personnelle à la destruction random de millions d’ordinateurs. La romance à une très grande place dans mon travail, du coup cette histoire m’a sauté aux yeux directement. C’est quand même terrible comme idée de faire ça à des millions de personnes ! Terrible mais aussi un peu romantique de manière tordue.
D’ailleurs, restons un peu sur cette réalisation, elle semble mélanger plusieurs techniques, comment t’y es tu pris ?
Ce dessin est vraiment une compilation de mes processus de dessin préférés. J’ai commence par une structure très basique pour guider le reste, m’aider à alterner entre deux « dimensions » vues simultanément : l’écran familier et simple d’ordinateur, et le dessin chaotique et improvisé des entrailles informatiques envahies par le virus, où j’ai pu improviser. Les circuits sont colorés à l’encre pour obtenir des surfaces plus lisses, alors que le virus est coloré au crayon pour la texture qui apparait grâce au grain de la feuille ; j’aime beaucoup allier ces deux outils pour créer des contrastes de textures, ici entre un système artificiel et une entité animée et envahissante. Le fond d’écran est fait au crayon aussi, j’aimais bien l’aspect innocent d’un écran crayonné qui commence presque à s’estomper.
Le choix de faire ce dessin sur papier etait aussi un rappel à la lettre d’amour traditionnelle, matérielle, mais j’avoue que la découpe au centre est un rattrapage après avoir complètement cafouillé !
Tu peins, tu dessines, tu tatoues, qu’est-ce que t’apporte une telle diversité ?
Même si le dessin reste vraiment central dans ma pratique, je pense que toutes ces techniques s’informent entre elles, les leçons apprises se croisent et se mélangent. J’ai aussi une capacité de concentration un peu moisie, et du coup, un besoin d’essayer des choses différentes au risque de moisir entièrement, d’autant plus que créer est presque ma seule compétence. Il y à plein de choses à essayer, et je pense que rester sur une seule technique me rendrait vraiment misérable sur la longue durée ; changer de médium peut faire naitre des idées qui seraient restées au fond du sac si on ne l’avait pas secoué un bon coup.
Tu alternes également illustrations très fournies en détails et art numérique plus épuré, comment choisis-tu ton médium ?
C’est vrai que quand il s’agit d’art numérique, mes influences sont très différentes de celles du dessin ; je pense surtout à Robert Beatty qui a été là raison principale de mon intérêt pour le numérique, mais aussi des peintres comme O’Keefe. Mon temps à l’atelier Peinture(s) de la HEAR Strasbourg à aussi été très important, et je parle souvent de peinture digitale par rapport à mes productions numériques. Il y à une sorte d’ADN en commun entre la peinture sur toile et Photoshop qui est bizarre à expliquer, quelque chose à voir avec les couches/calques, la force des couleurs. Je pense aussi qu’à un moment, j’ai eu besoin de sortir des petits détails grouillants pour ne pas m’enfermer et pouvoir exprimer des choses différentes, peut-être pour épargner un peu ma santé mentale. Faire exactement le même travail sur plusieurs techniques serait vraiment dommage, mais aussi difficile vu à quel point les sensations de chaque technique jouent un rôle important. La lisseur de la tablette numérique m’empêche de dessiner comme sur une feuille texturée, du coup, je suis forcé·e à réfléchir différemment, ce qui est plutôt chic en fin de compte.
La dernière fois que tu t’es surpris dans ton travail, c’était quand ?
Ohlàlà c’est un peu terrible comme question… Récemment, j’ai commencé une série de dessins plus narratifs et liés entre eux, au lieu de partir dans tous les sens par envie de diversité zinzine. Le fait que je tienne le cap aussi longtemps sur un style et une idée précise est presque un miracle, c’était mon problème principal quand j’ai tenté (et raté) de me mettre à la bande dessinée. J’ai l’impression de reprendre goût pour l’illustration purement narrative qui était toujours un domaine un peu hésitant pour moi.
Peux-tu nous citer 3 projets qui ont été marquants pour toi et nous dire pourquoi ?
Entre 2022 et 2023, j’ai eu la chance de réaliser un livre avec les éditions Petite Nature intitulé Metanoia, une sorte de compilation de plein de dessins traditionnels et digitaux. Trouver des liens entre toutes ces images et en créer de nouvelles par rapport aux thèmes déjà présents était très très stimulant, j’y ai trouvé toute sorte de nouvelles lignes directives pour mon futur travail, et voir autant de réactions de mes ami·es et collègues était très chic.
Je dirais aussi que la création de mon mémoire de 5ème année à été une étape marquante. Il s’agissait d’expliciter plein d’aspects du dessin qui m’intéressent depuis longtemps, tout en essayant de ne pas être trop coincé·e (ce qui est souvent mon problème à l’écrit) et en produisant beaucoup de dessins, puis éditer et imprimer (vraiment pas mon point fort, beaucoup de choses ont finies floues malheureusement). En fin de compte c’était un projet super éducatif que je vais sûrement remanier un de ces jours pour mieux le montrer à un public large.
Sinon je repense à une pochette d’album que j’ai réalisée il y a a peu près 6 ans. J’avais fait une sorte de composition dégoulinante à l’encre de couleur, vraiment une idée zinzine pour moi à ce stade. Le projet n’est jamais sorti et le dessin a disparu dans un tiroir quelque part, mais finalement ça a débloqué toute une avenue créative même si je ne m’en suis pas rendu·e compte tout de suite ! Beaucoup des pochettes que j’ai fait ont été importantes, bizarrement, c’est celle là qui ressort le plus.